Une anomalie dans le développement du cervelet pourrait-elle expliquer les troubles moteurs apparaissant des décennies plus tard chez les personnes atteintes de maladies rares du mouvement?
C’est la piste génétique explorée par une équipe du Centre de recherche du CHUM (CRCHUM), menée par le chercheur Éric Samarut et la doctorante Fanny Nobilleau, qui vient de publier une étude dans Nature Communications.
Les scientifiques y révèlent que le gène RFC1 joue un rôle clé dans la formation du cervelet, cette région du cerveau qui coordonne les mouvements.
Cette découverte ouvre de nouvelles voies pour comprendre l’origine biologique des ataxies cérébelleuses tardives, des maladies rares caractérisées par des troubles de la coordination motrice.
La prévalence de cette grande famille de maladies est estimée entre 1 et 3 personnes pour 100 000 personnes. À ce jour, aucune thérapie n’est disponible.
Un gène universel, un rôle inattendu
Longtemps, RFC1 a été vu comme un simple mécanicien de l’ADN, chargé de corriger les erreurs lors de la multiplication cellulaire.
« On pensait que ce gène universel agissait partout dans le corps comme un contrôleur de qualité s’assurant de l’intégrité de l’ADN. Mais pendant le développement embryonnaire, nous avons observé avec surprise qu’il s’exprime surtout dans le cervelet », explique Éric Samarut, professeur adjoint à l’Université de Montréal.
En étudiant le cerveau en développement de modèles de poisson-zèbre, l’équipe du CRCHUM a fait une découverte : l’absence de RFC1 entraîne la mort de cellules qui auraient dû devenir des neurones, et cause une malformation du cervelet dès les premières étapes de la vie.
« C’est la première fois qu’une équipe de recherche étudie la fonction de ce gène dans un modèle in vivo. Cette étape est essentielle avant d’extrapoler nos découvertes au contexte de la maladie. »
Des maladies rares, des questions fondamentales
Cette découverte met en lumière les mécanismes biologiques potentiels derrière certaines ataxies cérébelleuses tardives, comme le syndrome de CANVAS (Cerebellar Ataxia, Neuropathy, Vestibular Areflexia Syndrome).
Cette maladie rare, souvent sans diagnostic génétique, est liée à des expansions géniques au sein du gène RFC1. Ces expansions se produisent lorsque la machinerie cellulaire chargée de copier l’ADN commet des erreurs et ajoute des nucléotides supplémentaires dans un gène.
Personne ne comprend encore comment ces anomalies peuvent affecter le cerveau et provoquer des troubles moteurs ciblés. Toutefois, les récentes avancées de l’équipe d’Éric Samarut suggèrent que la fonction normale de RFC1 pourrait être altérée dans ce syndrome.
« Ce qu’on montre pour l’instant, c’est que l’absence de RFC1 empêche les cellules du cervelet de se développer correctement », souligne Éric Samarut
« Est-ce qu’un cervelet, fragilisé dès la naissance, pourrait conduire à des troubles moteurs bien plus tard dans la vie? Cela reste à démontrer. Si cette piste se confirmait, elle ouvrirait la voie à un diagnostic plus précoce, avant même l’apparition des symptômes. »
L’équipe s’efforce actuellement de déterminer si l’activité de RFC1 est effectivement défaillante chez les patients atteints de CANVAS, et si elle est responsable des troubles moteurs qui en découlent.
Un tremplin pour la recherche sur les maladies neurodégénératives
Menés en collaboration avec le chercheur Nicolas Pilon, spécialiste de la génétique des maladies rares à l’UQAM, ces travaux de recherche font écho au financement de 330 000 $ reçu en 2024 par Éric Samarut et Martine Tétreault, chercheuse du CRCHUM impliquée dans l’étude, pour étudier les ataxies cérébelleuses tardives.
Leur projet faisait partie des trois lauréats du concours Thérapies innovantes pour les ataxies héréditaires subventionnés par Génome Québec, Ataxie Canada et Dystrophie musculaire Canada.
Bien que toute application clinique soit encore loin, cette étude révèle des mécanismes jusque-là insoupçonnés, et défriche des horizons de recherche, notamment pour des maladies neurodégénératives comme les syndromes parkinsoniens atypiques et l’atrophie multisystématisée.
Rédaction : Bruno Geoffroy
À propos de cette étude
L’article « RFC1 regulates the expansion of neural progenitors in the developing zebrafish cerebellum » par Fanny Nobilleau et ses collègues sous la supervision de Éric Samarut a été publié en ligne le 1er juillet 2025 dans la revue Nature Communications.
Ces travaux de recherche ont été financés par le Centre d’excellence en recherche sur les maladies orphelines-Fondation Courtois (CERMO-FC), Génome Québec et Ataxie Canada.
Ils ont été appuyés par l’équipe de la plateforme d’imagerie cellulaire du Centre de recherche du CHUM.
Ataxies cérébelleuses tardives : une piste génétique dévoilée
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