Quelles stratégies pourraient diminuer le recours aux transfusions de produits sanguins dans certains contextes chirurgicaux, particulièrement en transplantation hépatique? C’est l’une des questions auxquelles le Dr François Martin Carrier tente de répondre en tant que titulaire de la chaire de médecine transfusionnelle Fondation Héma-Québec–Bayer de l’Université de Montréal.
La trajectoire atypique du Dr Carrier — il fut d’abord clinicien en tant qu’anesthésiologiste et intensiviste spécialisé en maladies du foie au CHUM pendant sept ans avant d’entreprendre sa carrière de chercheur en 2018 — constitue certainement un atout pour lui, car cela lui a permis de relever certaines lacunes dans sa pratique et l’a poussé à poursuivre ses études en vue de devenir chercheur régulier.
« La transplantation hépatique m’a toujours fasciné », affirme-t-il avec enthousiasme. « C’est une opération importante, pratiquée chez des patients qui sont très malades et nécessitent des soins intensifs. De plus, lors de ma résidence, on disait souvent que les jours étaient comptés pour un cirrhotique admis aux soins intensifs. Je trouvais qu’il n’y avait pas beaucoup d’expertise dans ce domaine sur le plan clinique, donc j’ai décidé d’approfondir ces questions pour ultimement améliorer la trajectoire des patients. »
Une pratique surutilisée?
Comme le souligne Dr Carrier, la transfusion sanguine sauve d’innombrables vies, mais elle ne vient pas sans complications chez certaines personnes. Présence d’eau sur les poumons, augmentation du risque d’infection et déstabilisation du système immunitaire figurent parmi les effets secondaires pouvant augmenter le risque de complications, mais il n’est pas clair si elles surviennent parce que les personnes transfusées sont malades ou si elles sont causées en partie par les transfusions elles-mêmes. Dans de rares cas, on observe même une incompatibilité menant à la destruction des globules rouges.
À ces possibles complications s’ajoutent les défis liés aux durées de séjour hospitalier prolongées, les coûts élevés des transfusions, ainsi que le risque de pénuries de produits sanguins, qui occasionnent parfois l’annulation d’opérations nécessitant des transfusions. « Si on arrive à mieux comprendre les mécanismes impliqués, nous disposerons d’un levier pour sensibiliser les cliniciens à moins transfuser les patients. Je crois que cela contribuera à rendre notre système de santé plus résilient », estime le Dr Carrier.
Des études prometteuses
Pour tenter d’élucider ces questions et bien plus, le Dr Carrier et son équipe ont entrepris une étude de cohorte multicentrique qui concerne 850 patients ayant subi une transplantation hépatique dans huit centres de transplantation, soit six au Canada et deux en France. La collecte des données s’est terminée au cours de l’année et leur analyse en cours permettra entre autres d’établir des associations entre les transfusions et l’état clinique des patients afin, ultimement, de diminuer le recours aux produits sanguins et de mettre en place des processus de soins optimaux.
Parallèlement à cette grande réussite, le chercheur a également lancé il y a quelques mois un essai clinique randomisé multicentrique en transplantation hépatique, comparant deux stratégies de prise en charge hémodynamique intraopératoire de patients canadiens afin de déterminer si l’une d’entre elles aide à diminuer les saignements, les transfusions et les complications postopératoires. Cette étude est effectuée en collaboration avec trois centres hospitaliers pour commencer, soit le CHUM, le London Health Sciences Center et le CUSM, mais d’autres s’ajouteront en cours de route, possiblement en France.
D’autres projets sur les risques transfusionnels touchant différents profils de patients en chirurgie sont en phase de lancement, notamment grâce à l’aide de la plateforme CITADEL (Centre d’intégration et d’analyse des données médicales du CHUM).
« Les projets que j’ai mis en place visent tous à répondre à des questions que je me suis posées au chevet des patients. En tant que passionné de méthodologie, j’aime me casser la tête pour trouver la bonne manière de répondre à la question! »
— Dr François Martin Carrier