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La sclérose en plaques, une maladie silencieuse

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Ana Carmena Moratalla

À l’entendre aujourd’hui évoquer avec finesse sa vie de jeune chercheuse, difficile de croire qu’Ana Carmena Moratalla a foulé le sol montréalais en 2015 sans parler un mot de français. Dans ses bagages : une maîtrise de neurosciences de l’Universidad Autónoma de Madrid et l’intuition qu’elle s’épanouirait au Centre de recherche du CHUM.

Depuis son horizon hispanique, elle avait pu entrevoir ce qui l’attendait outre-Atlantique. D’un regard lancé au travers d’une fenêtre virtuelle. De l’autre côté, Nathalie Arbour, responsable de l’axe Neurosciences, l’attendait.

« Je me suis entretenue à distance avec Nathalie pour discuter d’une offre de doctorat qu’elle avait publiée sur un site Web européen. J’aimais beaucoup le sujet et elle m’a permis de rencontrer son équipe. Elle m’ouvrait ainsi en grand les portes de son laboratoire! », se rappelle-t-elle.

Un recrutement hors norme pour cette native du Vieux Continent, les possibilités de doctorat étant très limitées en Espagne.

L’appel était trop fort, un vent nouveau soufflait depuis Montréal. Depuis plus de six ans déjà, au 9e étage du centre de recherche, Ana Carmena Moratalla contemple à l’occasion la vue sur le Vieux-Port. Un panorama sur sa ville d’adoption, une perspective sur le chemin parcouru.

Une maladie encore incomprise 

En laboratoire, elle étudie les interactions entre le système immunitaire et le système nerveux central dans le cadre de la sclérose en plaques.

Au pays, plus de 90 000 personnes vivent avec cette maladie qui cause des troubles invalidants de la vision, de la mémoire, de l’équilibre et de la mobilité. C’est plus que le nombre de Canadiens et de Canadiennes atteintes du VIH. Pourtant, on en parle peu.

Les scientifiques savent que des dérèglements du système immunitaire incitent des lymphocytes T, des globules blancs responsables d’activer la défense du corps humain contre les infections, à s’attaquer à des tissus nerveux sains de l’organisme que ce soit au niveau du cerveau ou de la moelle épinière.

En clair, la maladie cible la myéline, gaine protectrice des fibres nerveuses, ce qui provoque de l’inflammation et entraîne la détérioration de cette substance essentielle à la propagation de l’influx nerveux.

Des mécanismes complexes 

Pour enrayer un jour la progression de cette maladie auto-immune, Nathalie Arbour et son équipe traquent dans l’immensité du territoire cérébral les molécules responsables.

Une épopée scientifique à laquelle participe Ana Carmena Moratalla, qui a obtenu récemment son doctorat.

En 2021, à partir de tissus de patients décédés de la sclérose en plaques, elle parvient à montrer que le niveau d’une protéine altérée, connue sous le nom ULBP4, est élevé dans leurs cerveaux ce qui contribue par différents mécanismes à l’inflammation générale. Ultimement, cette protéine pourrait être une cible thérapeutique.

« Nous sommes encore en phase de découverte. Il faut désormais valider nos données publiées et obtenues sur des échantillons humains sur des modèles de souris. Ainsi, nous pourrons voir si nous avons un véritable impact sur la maladie. »

Cette approche les démarque d’ailleurs sur la scène de la recherche canadienne. Au sein du laboratoire de Nathalie Arbour, les scientifiques commencent toujours leurs recherches à partir d’observations faites sur les patients ou sur leurs tissus avant de les valider sur des modèles animaux.

« Je suis très satisfaite de cette découverte. Nathalie aussi. Cela n’a pas été un projet facile, mais cela valait la peine si nous pouvons développer une thérapie. Aider les patients, c’est le but de nos recherches! »

Un environnement accueillant 

Au centre de recherche, la jeune chercheuse a d’ailleurs apprécié les collaborations étroites avec les équipes de recherche fondamentale de la Dre Catherine Larochelle et du Dr Alexandre Prat, sans compter sur l’appui des neurologues de la clinique de la sclérose en plaques du CHUM — le Dr Marc Girard et le Dr Pierre Duquette — et sur la qualité et la richesse des échantillons des biobanques.

Grâce à une bourse de la Société canadienne de sclérose en plaques, Ana Carmena Moratalla a pu suivre des formations scientifiques avec d’autres laboratoires de recherche au Canada, mais aussi rencontrer des patients.

 Échanger avec eux, écouter leurs besoins et comprendre comment ils voient nos recherches est très enrichissant. Ces contacts humains inestimables nous permettent de sentir que nous pouvons vraiment contribuer à améliorer leurs vies. 

Aujourd’hui, la jeune femme souhaite expérimenter la recherche dans un autre environnement : l’industrie. Le vivier d’opportunités montréalaises y est conséquent, ses contacts aussi.

Et, « la réputation du centre de recherche et l’expertise technique que j’ai acquise sur les plateformes de cytométrie et d’imagerie cellulaire grâce au personnel du centre de recherche sont des avantages supplémentaires pour être recrutée. »

S’est-elle ennuyée de son Espagne natale? Parfois, mais la communauté hispanophone n’est jamais très loin. Il suffit d’ouvrir la porte du laboratoire d’à côté pour renouer avec ses racines. Tout comme Ana Carmena Moratalla, le centre de recherche du CHUM est polyglotte.

La sclérose en plaques, une maladie silencieuse