Troubles anxiodépressifs: bien plus qu’une question de poids

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Saviez-vous que des dysfonctionnements métaboliques associés à une prise de poids excessive peuvent provoquer des changements dans des parties du cerveau qui agissent sur la motivation et l’humeur? Dans son laboratoire du Centre de recherche du CHUM (CRCHUM), Stephanie Fulton et son équipe s’y intéressent de très près.

Chez les personnes obèses, les risques de souffrir de dépression ou d’anxiété sont plus élevés que dans la population générale. Ces problèmes de santé mentale sont le résultat d’une combinaison de facteurs : mauvaise alimentation, inactivité physique et accumulation de cellules graisseuses (adipocytes viscéraux). Mais l’obésité seule ne peut engendrer ces comportements anxieux et dépressifs. Loin de là.

Dans une revue publiée dans Trends in Endocrinology & Metabolism, Stephanie Fulton rappelle que des dysfonctionnements métaboliques, notamment l’inflammation, la résistance à l’insuline ou à la leptine (hormone contrôlant l’appétit), sont considérés par la communauté scientifique comme des éléments clés dans la manifestation de troubles anxiodépressifs chez ces personnes.

La consommation excessive de graisses saturées ‒ huile de palme par exemple ‒ et de sucre favorise l’apparition de tels changements métaboliques. Elle provoque aussi une inflammation suffisante dans le cerveau pour modifier les circuits neuronaux responsables du contrôle de l’humeur, de la motivation et des émotions.

La littérature scientifique récente, à laquelle fait référence Stephanie Fulton dans sa revue, montre d’ailleurs que les troubles anxiodépressifs des personnes obèses sont plus liés à ce type de déficiences métaboliques qu’au poids corporel lui-même. Et ce, aussi bien chez les hommes que chez les femmes.

Relier métabolisme et santé mentale

L’incidence de la dépression et des troubles anxieux est nettement plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Pourtant, l’utilisation de modèles animaux femelles en recherche psychiatrique reste encore limitée.

Dans une étude parue dans Brain, Behavior, and Immunity, Stephanie Fulton et Léa Décarie-Spain, première auteure et alors doctorante dans son laboratoire, mettent en lumière que les comportements dépressifs et anxieux sont observables chez des souris femelles seulement si les rongeurs sont soumis à une alimentation riche en sucre et en graisses saturées.

Une alimentation riche en sucre et en gras mono-insaturé (huile d’olive) n’entraîne pas ce type de comportements. Pourtant, ces deux régimes alimentaires provoquaient obésité et dysfonctionnements métaboliques chez les rongeurs femelles.

En 2018, la même équipe scientifique avait pointé l’origine de ce phénomène chez des souris mâles : l’inflammation dans le noyau accumbens, une structure du cerveau limbique active dans le circuit de la récompense et dans la régulation de l’humeur.

« Chez les femelles, cette inflammation métabolique est plus faible et n’est pas responsable à elle seule des comportements anxiodépressifs observés », dit Stephanie Fulton, professeure au Département de nutrition de l’Université de Montréal.

« Par contre, nous avons constaté que leurs taux d’œstrogène dans la circulation sanguine et la quantité dans le noyau accumbens d’une enzyme nommée aromatase [un marqueur] augmentaient avec le régime riche en gras saturé, ajoute-t-elle. Cette hausse était aussi liée à la survenue de comportements anxiodépressifs. »

La femme n’est pas un homme comme les autres

Au CRCHUM, l’équipe de Stephanie Fulton explore en profondeur la neurobiologie de l’alimentation, de l’obésité et des troubles de l’humeur.

Dans une autre étude publiée aussi dans Brain, Behavior, and Immunity, la chercheuse et Marie F. Fernandes, une doctorante formée dans son laboratoire, se sont penchées sur l’influence de la leptine, une hormone agissant sur la sensation de satiété, la motivation, l’activité physique et l’anxiété de souris femelles.

La leptine sert de signal pour contrôler l’appétit et le poids corporel. Elle influence aussi les systèmes cérébraux associés aux émotions et à la cognition.

En 2015, la chercheuse avait déjà montré sur des souris mâles que la leptine ciblait les neurones de la dopamine, un neurotransmetteur de la motivation, et par ricochet modulait les «envies» des rongeurs de faire de l’exercice.

« Une fois encore, nous avons observé des différences notables entre mâles et femelles. En manipulant la voie de signalisation de la leptine, nous avons noté qu’elle n’a pas d’effet sur la prise alimentaire, le poids des rongeurs ou encore la motivation pour l’activité physique. Par contre, elle influe sur leur comportement anxieux », précise Stephanie Fulton.

« Chez les mâles, nous avions constaté plutôt une perte de poids, malgré une prise alimentaire normale, et remarqué qu’ils dépensaient plus d’énergie que la normale. »

Les récentes recherches du laboratoire de Stephanie Fulton ouvrent donc un pan de recherche encore sous-exploité. Elle et son équipe travaillent à comprendre les mécanismes neurométaboliques spécifiques aux femmes, ainsi qu’à cerner l’influence de la nutrition et des hormones sur la motivation et les comportements anxiodépressifs.

L’avenir de la recherche biomédicale aura un accent féminin plus prononcé, c’est certain.

Le saviez-vous?

Stephanie Fulton fait partie du réseau de recherche franco-canadien Food4BrainHealth. Ce regroupement de scientifiques, dirigé par Sophie Layé, de l’Université de Bordeaux en France, s’intéresse à la thématique de la nutrition et de la santé du cerveau (biologie prédictive, prévention et traitement des maladies).

La chercheuse fait aussi partie du Club canadien neurométabolique, qui réunit des scientifiques des domaines du contrôle central du métabolisme, des neurosciences nutritionnelles et des pathologies métaboliques. Échangez avec eux et participez à la conversation sur Twitter: @NeuroClub.

À propos de ces travaux de recherche

Le financement des travaux de Stephanie Fulton a été assuré par les Instituts de recherche en santé du Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le Fonds de recherche du Québec ‒ Santé et la Japan Society for the Promotion of Science.

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